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HISTOIRE VÉRITABLE

ainsi leur puissance. Pygmalion voyoit sa statue vivante, et il craîgnoit de se tromper : « Ah ! dit-il, vous vivez, et je serai le plus heureux des mortels ! » Elle le regarda languissamment. Pygmalion parut ravi de joie : « Je vous aimois, et, bien loin que vous fussiez sensible à mon amour, vous ne pouviez pas seulement le connoître. Mais, à présent, vous saurez que j’ai fait des vœux téméraires pour vous, et qu’il n’y a que la grandeur de mon amour qui ait pu toucher les Dieux. »

» La terre avoit été tellement ravagée par la peste, que les Dieux furent bien du temps sans pouvoir loger, ni parmi les hommes, ni parmi les animaux, toutes les âmes qui avoient été séparées de leurs corps. La mienne resta très longtemps en réserve. Elle eut le bonheur, comme je vous ai dit, de jouir longtemps du commerce des Dieux. Cela fit qu’elle acquit un degré de perfection qu’elle n’avoit jamais eu, et qu’elle eut des sentiments que, jusqu’ici, elle n’avoit point connus.

» Je vous dis ici, mon cher Ayesda, une grande chose ; elle explique un phénomène qu’on a vu arriver dans tous les lieux et dans tous les temps. Lorsque les nations sont dans la prospérité, elles se corrompent toujours. Le luxe, les plaisirs, la mollesse attaquent toutes les âmes. II y a quelquefois moins de crimes publics, parce que chacun a peur de perdre sa prospérité ; mais les crimes cachés sont sans nombre, et les vices attaquent la masse de toute la nation. Mais, quand les peuples éprouvent de grandes calamités, la vertu a coutume de reparoître, les mœurs