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HISTOIRE VÉRITABLE

sur la misère, ni sur l’humiliation d’autrui : la vertu, la santé, la paix, le bon esprit, la tranquillité domestique, la crainte des Dieux. » — « Mais les honneurs et les richesses ne sont pas incompatibles avec ces sortes de biens, » repris-je. — « Ils le sont presque toujours : car les Dieux, lassés des importunités des mortels, qui leur demandoient tous ce que très peu pouvoient obtenir, voulurent avilir ces sortes de biens. Ils y joignirent la tristesse, les soins cuisants, les veilles, les maladies, les désirs, les dégoûts, la pâleur, la crainte. Et cependant, ô étrange manie ! les hommes ne nous les demandent pas moins. » — « Mais les pauvres, lui répliquai-je, sont-ils plus heureux ? » Pour lors, il me dit ces grandes paroles : « Mon ami, les Dieux ont fait une classe de gens plus malheureux encore que les riches : ce sont les pauvres qui désirent les richesses. »

» Je fus, dans la suite, attaché à un Dieu domestique, qui avoit l’œil sur une des maisons des plus opulentes de la ville où nous étions. Je ne vous ferai point l’histoire de ceux qui l’habitoient ; mais vous pouvez bien compter que, s’ils avoient conçu quelque mauvaise action, ils la venoient toujours faire devant nous. Le maître de la maison étoit un grave magistrat, et, quand il se montroit au public, je l’entendois parler comme auroit pu faire la Justice même ; mais, quand il avoit quitté sa robe, je n’ai jamais vu un si malhonnête homme. Il est vrai que sa femme le traitoit comme il traitoit le public : elle tenoit, devant lui, les discours du monde les plus chastes ; mais, dans son absence, c’étoit un mari bien ajusté.