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HISTOIRE VÉRITABLE

si volontaires. Nous allâmes chercher partout une princesse propre à produire cette espèce d’homme qu’on nous demandoit. Nous nous fixâmes sur une reine de Scythie, que nous trouvâmes couchée sur une peau d’ours, ayant son arc et son carquois au chevet de son lit. La fière reine revoit à des combats et à une ville dont les murailles étoient teintes de sang. Mon maître se glissa dans son lit et commença d’abord par lui donner une oppression de poitrine. Nous la tourmentâmes toute la nuit ; mais nous nous y prîmes si mal qu’après bien des peines nous manquâmes le héros et ne fîmes qu’un tyran.

» Vous me demanderez peut-être pourquoi les Dieux emploient les incubes à la formation des hommes extraordinaires. C’est que les héros sont destinés à être les instruments de la vengeance divine, et, s’ils avoient une origine humaine, ils ne seroient pas assez inexorables.

» Je fus envoyé dans une ville des Indes pour servir un Génie qui rendoit des oracles. Les peuples portoient sans cesse de l’or et de l’argent dans notre temple, ce qui mettoit mon petit Dieu au désespoir : « A moi, de l’or ? disoit-il. A moi ? Ils me croient donc bien avare. Sais-tu bien ce qui arrive ? C’est que, lorsque quelque prince sacrilège vient pour enlever ces trésors, il m’en coûte toujours la façon d’un prodige. » Aussitôt, il entra dans son tuyau et dit : « Mortels, apprenez que vous ne pouvez offrir aux Dieux vos trésors sans leur faire voir le cas que vous faîtes d’une chose qu’ils veulent que vous méprisiez. »