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MONTESQUIEU

ser, je sentois ma voix s’aigrir insensiblement ; ce qui formoit une dispute fort extraordinaire, dans laquelle mon malheureux fausset avoit à combattre toute la mauvaise humeur des autres. Or, comme, quand je parlois, il sembloit que je disputois, aussi, lorsque je disputois, il sembloit que je décidois ; et, à dire le vrai, il m’eût été très facile de n’être jamais de l’avis des autres, car personne ne vouloit être du mien. Les choses étant dans cet état, vous jugez bien que j’attrapois aisément des ridicules ; que, quand ils étoient sur moi, ils y tenoient bien, et que personne ne venoit les en ôter. Ma mère, qui avoit beaucoup d’esprit, disoit toujours : « Je connois bien ma fille : elle a un très bon naturel ; mais vous pouvez compter que personne n’en saura jamais rien. »


QUATRIÈME PARTIE

« Ce que vous venez de dire tous les deux est si extraordinaire que je ne le crois que parce que vous le dites, et que vous êtes des honnêtes gens. Mais, si, par hasard, vous étiez tous deux fous, cela ne seroit pas vrai. Ainsi je n’entretiendrai point Dioclès de choses que vous seuls savez, et qui ne sont point dans l’ordre de la nature que nous connoissons ; mais je lui parlerai d’un événement qui a eu pour témoin toute la ville d’Athènes.

» Vous savez que les femmes de la ville d’Abdère tombèrent dans un genre de folie qui les portoit à se montrer toutes nues, et l’on ne pouvoit plus les obli-