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HISTOIRE VÉRITABLE

vieillirent, et ma taille s’épaissit. Je me crus perdu auprès des femmes. Mais la réputation d’avoir été aimable et d’avoir été aimé me soutint auprès de quelques unes et sembla me rendre ma figure passée. Aussi gardai-je mes premiers airs : je parus toujours sûr de moi-même ; je ne doutai de rien. Il couroit dans le monde des histoires de mes aventures ; elles parloient pour moi. Il est vrai qu’une femme n’avoit pas longtemps la tête tournée, et que, lorsqu’elle avoit bien reconnu le terrain, elle aimoit autant établir la réputation de quelque autre que jouir de la mienne.

» Mon Génie, voyant qu’il m’avoit manqué trois fois, jugea qu’il n’y avoit pas moyen de faire un homme de moi ; je fus donc encore enveloppé dans les organes d’une femme.

» Je me mariai en Macédoine. Le Roi ayant déclaré la guerre à un de ses voisins, nos maris partirent, et nous crûmes qu’il étoit du bon air de nous affliger. Des gens disoient : « En vérité, c’est une chose bien nécessaire que des hommes à ces femmes-là ! Mais comment ces gens, si regrettés pendant la guerre, étoient-ils si ennuyeux pendant la paix ? » Mais moi, je sais bien que celui que je regrettois ne m’ennuyoit point. C’étoit un jeune homme très joli, neveu d’un vieux mari à moi, et je lui avois déjà donné la succession de l’oncle ; car le bonhomme jouissoit très peu de son bien. Le petit garçon, en partant, m’avoit fait les adieux du monde les plus propres à le faire regretter. Jugez si j’étois affligée, surtout quand on a un bon cœur ! Mon mari revint ; mais le jeune