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MONTESQUIEU

nous donnions un spectacle singulier. On ne nous auroit jamais pris pour deux amants, mais pour deux rivaux. C’étoit un combat où personne ne cherchoit à attaquer, où l’un et l’autre paroissoit se défendre, et où les deux champions sembloient n’être pas convenus des loix du duel.

» Je viens de vous parler d’une vie où je n’étois proprement rien. Dans celle-ci, j’étois peut-être quelque chose de plus. Il y avoit des gens qui me croyoient un fat. Outre ma figure, mes équipages et mes habits, j’admirois beaucoup mon esprit. Ce dernier article augmentoit mes torts et me rendoit plus incommode.

» Vous remarquerez que, dans ces deux transmigrations, j’étois d’un assez bon naturel. Et comment aurois-je été méchant ? Quand on s’admire sans cesse, on ne peut être irrité contre personne.

» Je naquis à Athènes pour être encore un joli homme. Les grâces qui président à la naissance des petits maîtres se trouvèrent à la mienne : l’impertinence, la folie et le mépris des choses louables. A l’âge de quinze ans, je fis l’homme de qualité, et j’y réussis assez bien. Je crus devoir faire aussi l’homme d’esprit, et cela me fut encore plus aisé. Toute la difficulté étoit de faire l’homme riche, et je crus que les femmes m’aideroient à cela. Mais, cinq ou six rubans qu’elles me donnèrent, me coûtèrent le peu de bien que j’avois. Pour lors, tous mes amis m’abandonnèrent. Mais, m’étant mis à jouer, je regagnai mon bien et mes amis.

» Cependant mes cheveux tombèrent, mes traits