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HISTOIRE VÉRITABLE

et de l’éducation, ou triompher auprès d’une prude des difficultés de la raison et de la décence, n’est-ce pas toujours la même chose ? Devenue plus vieille, je m’amusai du culte des Dieux, et je m’attachai à leurs ministres. Ils n’étoient point agréables comme nos jeunes gens ; mais ils n’étoient ni si suffisants, ni si foibles ; ils n’étoient ni si contents d’eux-mêmes, ni si peu de nous. Je les haïssois bien, ces jeunes gens, avec leur impertinente frisure ! Je les haïssois bien avec leurs sots discours ! Que vous dirai-je ? Je tombai dans l’imbécillité, et ce fut le seul rôle vrai que j’eusse joué de ma vie.

» Mon âme avoit été tellement affectée dans toutes ces vies qu’elle n’étoit plus propre qu’à mouvoir les organes d’une femme. Aussi, dans mes transmigrations suivantes, me trouvai-je une foiblesse inconcevable dans le caractère.

» Dans la première, on disoit que j’étois beau, mais excessivement fade. Je prenois un soin extraordinaire de ma chevelure et de mon teint, et j’aimois beaucoup ma figure. J’avois de petits gestes et de certaines façons. On voyoit quelque chose de languissant dans ma démarche et mes yeux. Je m’évanouissois à tous propos, et il falloit que des flacons me fissent continuellement renaître. J’avois peur de tout, et je n’étois rassuré que par les devins. Ma vie, c’étoit d’être regardé, et je ne paroissois guère que dans les lieux où je pouvois bien l’être. Avec les femmes, il ne me vint jamais dans l’esprit d’aimer, ni d’être aimé ; il m’auroit suffi d’en être admiré. Quand j’étois avec quelqu’une d’elles, on disoit que