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HISTOIRE VÉRITABLE

ture. Je ne savois pas encore ce que c’étoit que l’amour, et je cherchois à l’inspirer. A l’âge de douze ans, j’imaginois ; à treize, je me faisois séduire. Déjà j’accordois ce que je refusois, je hâtois ce que je différois, et je promettois ce que j’exigeois. D’innocente, je devenois timide ; je me laissois rassurer ; et tout finissoit par des traits d’une très grande hardiesse. Après quinze ans d’aventures à Athènes, trop longues à vous raconter, je m’en allai à Éphèse, et, pendant trois mois, je fus si modeste qu’un jeune homme me conjura de l’épouser. J’obtins sur son impatience quinze jours pour me préparer à la virginité. J’y réussis très mal ; mais je fus assez heureuse pour donner de la surprise à mon mari sans lui donner de la méfiance. Quand il eut passé ses premiers feux, il sentit qu’il étoit pauvre, et il agréa que je me misse à la tête de ses affaires. Je repris donc mon premier train de vie ; mais j’étois peu considérée, car je n’avois encore eu pour amants que des bourgeois. Mais, ayant eu le bonheur de plaire à un grand seigneur et ensuite à un homme riche, je fus tout à coup à la mode : tout le monde vouloit m’avoir ; et moi, je faisois l’importante, j’avois de grands airs, qui augmentoient tous les jours, et je devenois plus chère à mesure que je valois moins.

» Ma fortune étant faite, je crus ne devoir plus aimer que pour mes plaisirs. Mais je m’y pris si tard que je ne pus guère dire que ce fut aussi pour les plaisirs des autres. Je ne laissai pas de retenir le titre de belle à l’âge de soixante ans ; je me présentois encore comme une nymphe. L’air de satisfaction