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MONTESQUIEU

bienséance et d’égards ; et, si l’on venoit me dire que la chose étoit sans exemple, je ne pouvois revenir de mon étonnement de ce qu’on ne vouloit pas faire un exemple pour moi.

» Voilà comment je travaillois à corriger la pédanterie des hommes publics. Et, sans cela, de quoi serions-nous devenus ? Vous pouvez compter qu’une femme, qui n’est que femme, ruine un mari par son état, si elle ne le ruine pas par ses mœurs ; au lieu qu’une autre, qui sait se retourner, rétablit par ses mœurs une maison qu’elle ruineroit par son état.

» Voici une réflexion, mon cher Ayesda, que vous prendrez peut-être pour une digression : c’est qu’il ne faut pas s’étonner que tant de gens courent après la Fortune. Il y a très peu d’hommes qui aient de bonnes raisons pour se juger exclus de ses faveurs. Êtes-vous né avec de l’impertinence ? Tant mieux : il ne vous faut qu’un saut pour aller à l’importance, d’où vous volez à l’impudence, et vous parvenez. Êtes-vous né avec de la sottise ? Vous voilà bien : on vous mettra dans une grande place pour que vous n’en occupiez que le devant, et que le fond en soit toujours vide. Parlez— vous à tort et à travers ? Vous êtes trop heureux : vous plaisez par là à la moitié du monde, et sûrement à plus des trois quarts de l’autre. Votre stupidité vous rend-elle taciturne ? Cela est bon : vous serez propre à recevoir le masque d’un homme de bon sens. Allons notre chemin ! Marchons ! On ne sauroit nous montrer une route que les fils de la Fortune n’aient battue avant nous.

» Dans la suite, je me trouvai une très jolie créa-