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HISTOIRE VÉRITABLE

connus, mon cher Ayesda, expliquent presque tous les effets naturels. Vous voyez des femmes charmantes avoir des amants très laids. Vous voyez des hommes qui soupirent pour des femmes affreuses. Savez-vous si leurs âmes n’ont point changé de corps ?

» Dans une autre transmigration, je me trouvai être du beau sexe. J’étois de l’île de Chypre, et un grand seigneur m’épousa. Il commença d’abord par manger tout son bien. Je ne saurois pas dire comment : car il étoit ruiné que personne ne s’en étoit aperçu. Dans cet état, je me servis des ressources que peuvent donner à une femme des accès à la Cour. Je me mêlai des affaires de ceux que la fortune avoit éloignés des grâces du Prince. Je connoissois les favoris et les ministres, et je les voyois souvent ; et, pour vous dire le caractère de ces gens-là, leur vanité étoit flattée quand ils pouvoient faire quelque mauvais compliment aux hommes, et elle étoit flattée quand ils faisoient des politesses aux femmes. Avec les hommes, ils vouloient faire voir qu’ils étoient grands, et, avec nous, ils vouloient montrer qu’ils étoient aimables. Pour revenir à moi, j’aimois à demander, mais j’aimois aussi à obtenir. Quelque chose que l’on me dît, j’allois toujours mon train, et, pour les raisons qu’on pouvoit me donner, je n’étois pas bête au point de me piquer de les entendre. Au contraire, après qu’on avoit bien travaillé à m’expliquer l’impossibilité de la chose, on étoit tout étonné que je recommençois à la demander. Me parloit-on de maximes et de règles, je parlois de