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MONTESQUIEU

» Je me sentis accablé de maladies, de lassitudes et de dégoûts. La présence d’une femme ne me promettoit plus qu’une foiblesse plus grande. Que vous dirai-je de ces amours commencés et finis par l’impuissance ! produit infortuné de ce que les sens, qui se secourent, ont de plus recherché ! effort imbécille de toutes leurs tentatives ensemble ! situation étrange, où l’on est auprès du comble de la félicité sans en avoir l’espérance !

» Je revis celle que j’avois autrefois adorée. Si l’on m’avoit dit, pour lors, qu’il viendroit un jour où sa beauté ne toucheroit plus mon âme, je ne l’aurois jamais cru. Si cette âme avoit pu prévoir que les Dieux feroient cesser pour elle l’affreux obstacle qu’une main barbare avoit mis à sa félicité, elle auroit eu une joie qu’elle n’a jamais sentie. Mais la présence, les regards, les caresses de la plus belle personne du monde, rien de tout cela n’alla à mon cœur. Je me laissai aller dans ses bras ; je n’y trouvai que l’irritation de la langueur même, et j’eus tout sujet de me convaincre que l’excès du plaisir ne se trouve que dans la modération des plaisirs.

» Cependant l’âme de mon maître, accoutumée à ne se rien refuser, portoit le corps qu’elle avoit à des entreprises bien extraordinaires pour le sérail, et le nouvel eunuque osoit à tous les instants montrer des désirs. J’ordonnai des châtiments sévères ; mais j’étois arrêté par une certaine pitié pour mon ancien corps. Tout noir, tout affreux, tout mutilé qu’il étoit, j’avois pour lui de la sympathie.

» Les mystères de la métempsycose une fois bien