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MONTESQUIEU

lettres qui n’étoient pas de mon bail. Elles lui apprenoient des choses que j’ignorois, et qu’il eût été bon qu’il eût ignorées aussi. Il entra avec moi dans d’étranges éclaircissements. Il perdoit l’esprit lorsqu’il entendoit mes réponses, qui, à la vérité, sur un pareil sujet, étoient très peu satisfaisantes. « Cela se peut, Monsieur, mais je ne m’en souviens pas. — Mon cher ami, si cela est ainsi, je ne sais pas comment cela s’est pu faire. — Je n’ai rien à répondre ; mais je n’aurois jamais dit cela de moi. » Quand il fut fatigué lui-même de sa mauvaise humeur, nous nous raccommodâmes. Il reprit ses anciennes manières ; mais il trouvoit les miennes nouvelles. Il ne concevoit pas ce que je pouvois avoir fait de cette négative éternelle que je mettois à la tête de tous mes discours, et, encore moins, comment il étoit possible que je voulusse la même chose tout un jour. Je le déconcertai bien davantage lorsque je l’aimai. Il étoit si peu fait à entendre parler chez lui de sentiments qu’il crut toujours que je le jouois ; et il fut si malheureux qu’il aima sa femme quand elle ne mérita point d’être aimée, et qu’il cessa de l’aimer quand elle fut digne de son amour.

» Ceci vous dévoile bien des choses, mon cher Ayesda. Quand vous verrez des gens dont le caractère est incompatible avec leur caractère même, composez les de deux âmes, et vous ne serez plus surpris.

» Je naquis chez les Noirs africains. A l’âge de sept ans, on me fit l’opération du monde la plus triste, et je fus vendu pour servir en Orient dans le palais d’un grand seigneur.