Page:Montesquieu - Mélanges inédits, 1892.djvu/119

Cette page n’a pas encore été corrigée
53
HISTOIRE VÉRITABLE

TROISIÈME PARTIE

« Je vous avoue que je fus bien étonné quand je fus femme pour la première fois ; et ce qui me rendit la chose plus touchante, c’est que je commençai par être une femme de vingt-cinq ans. Une autre de cet âge ayant perdu l’esprit, mon Génie obligea mon âme d’aller remplacer la sienne, et il me fallut prendre ce corps-là. J’étois dans un état de langueur ; mais, peu à peu, mes forces revinrent, et je me ranimai à la vue de quelques rubans et d’un miroir que je vis sur une toilette. Un jeune homme, qui vint me dire que depuis longtemps il m’aimoit, et qui vouloit même me le prouver par de certaines libertés qu’il avoit, disoit-il, coutume de prendre avec moi, me fit tant de plaisir que je n’ai jamais été si charmée.

» Je vous avoue que je ne laissai pas d’être embarrassée dans le rôle nouveau que j’avois à jouer. A peine eus-je animé ma machine deux jours que j’entendis dire que j’étois, depuis longtemps, brouillée avec tout mon voisinage, que j’avois tenu certains discours de quelques femmes, que j’avois eu de mauvais procédés avec d’autres, et deux hommes juroient qu’ils se vengeroient de moi et m’insulteroient partout où ils me trouveroient.

» Mon mari vint de la campagne, et je vis d’abord à son air chagrin et grondeur que j’avois des fautes à expier. Pour comble de malheur, il trouva, dans la poche d’un habit que je ne savois pas avoir, des