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HISTOIRE VÉRITABLE

ce qui en augmentoit l’agrément, à peu près, comme un instrument de musique ajoute à la voix qui l’(sic) accompagne. Cela faisoit un de ces caractères que Ton souffre, parce que, s’ils ne divertissent pas, ils aident à se divertir ; quoique, en général, dans la nation où je vivois, on ne fît guère que deux classes d’hommes : ceux qui amusent, et ceux qui n’amusent point. Et, puisque nous sommes sur cette nation, je vous dirai que l’on avoit écrit cette sentence au frontispice de chaque maison : N’ennuyez pas, et vous avez tout. Ennuyez, et vous n’avez rien. L’on y répétoit sans cesse cette maxime : Ne manquez pas de plaire aux femmes, si vous voulez être estimé des hommes ; aussi bien que celle-ci : A quatorze ans, achevez de vous polir ; à soixante, commencez à vous former ; et cette autre enfin (car cela ne finiroit point) : Ne vous avisez pas d’aller dire des choses, si vous êtes assez heureux pour savoir dire des riens.

» Ne me trouvant pas assez de considération à la Ville, j’en obtins par le moyen de la Cour. Vous seriez étonné si je vous disois pourquoi j’y allois ; c’étoit pour en revenir. Quand j’étois parmi les bourgeois, je leur portois tous les mépris que je venoîs de recevoir. L’on admiroit mes sottises, quand je parlois, et l’on admiroit mon silence, quand je ne parloîs pas. Je disois que le Prince s’étoit levé ce matin même, et que, le lendemain, il iroit à la chasse. Il s’en falloit bien que le philosophe, qui connoît le mouvement des cieux et le cours des étoiles, fût aussi content de lui que je l’étois lorsque je pouvois prédire les éclipses et les apparitions du Ministre ou du Prince.