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MONTESQUIEU

» Il s’enferma un jour dans un petit caveau, où il étoit obligé de se tenir couché ; il ne respiroit que par un petit trou, et une lampe achevoit de l’étouffer. Il résolut d’y demeurer six jours sans boire et sans manger. Comme cette action nous attiroit des aumônes, je l’encourageois cruellement, et, quand il étoit sur le point de finir ses six jours, je lui dis faussement qu’un autre en devoit rester sept, et je l’obligeai, par mes mensonges, mes exhortations et mes railleries, à se tenir dans son poste encore un jour.

» Vous croyez peut-être, Dioclès, que ce que je viens de vous dire s’est passé de nos jours ? Je vous avertis qu’il y a quatre mille ans de cela. Vous me paroissez étonné. Laissez-moi continuer mon histoire ! Je vous assure que je suis sincère. Vous pouvez vous être aperçu que ce n’est pas la vanité qui me fait parler.

» Je voulus débaucher une jeune femme. Son mari le sut, et il me tua. Comme mon âme étoit toute neuve et n’avoit point encore animé d’autres corps, elle fut soudain transportée dans un lieu où les philosophes dévoient la juger. Toute ma vie fut pesée, et la balance tomba rudement du côté du mal. Je fus condamné à passer dans les animaux les plus vils, et l’on me mit sous la puissance de mon mauvais Génie, qui étoit un petit esprit noir, brûlé et malin, qui devoit me conduire dans toutes ces transmigrations. Mais moi, sans m’étonner, sans m’affliger, sans me plaindre, je conservai ma gaieté ordinaire, et j’éclatai de rire, en voyant les autres ombres épouvantées.