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des conquêtes lointaines que l’exemple des Portugais et des Espagnols.

Ces deux nations, ayant conquis avec une rapidité inconcevable, des royaumes immenses, plus étonnées de leurs victoires que les peuples vaincus de leur défaite, songèrent aux moyens de les conserver, et prirent, chacun pour cela, une voie différente.

Les Espagnols, désespérant de retenir les nations vaincues dans la fidélité, prirent le parti de les exterminer, et d’y envoyer d’Espagne des peuples fidèles : jamais dessein horrible ne fut plus ponctuellement exécuté. On vit un peuple, aussi nombreux que tous ceux de l’Europe ensemble, disparaître de la terre à l’arrivée de ces barbares, qui semblèrent, en découvrant les Indes, avoir voulu en même temps découvrir aux hommes quel étoit le dernier période de la cruauté.

Par cette barbarie, ils conservèrent ce pays sous leur domination. Juge par là combien les conquêtes sont funestes, puisque les effets en sont tels : car enfin, ce remède affreux étoit unique. Comment auroient-ils pu retenir tant de millions d’hommes dans l’obéissance ? Comment soutenir une guerre civile de si loin ? Que seroient-ils devenus, s’ils avoient donné le temps à ces peuples de revenir de l’admiration où ils étaient de l’arrivée de ces nouveaux dieux et de la crainte de leurs foudres ?

Quant aux Portugais, ils prirent une voie tout opposée ; ils n’employèrent pas les cruautés : aussi furent-ils bientôt chassés de tous les pays qu’ils avoient découverts. Les Hollandais favorisèrent la rébellion de ces peuples, et en profitèrent.