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LETTRE CXVII.

USBEK AU MÊME.


Nous avons, jusques ici parlé des pays mahométans, et cherché la raison pourquoi ils sont moins peuplés que ceux qui étoient soumis à la domination des Romains : examinons à présent ce qui a produit cet effet chez les chrétiens.

Le divorce étoit permis dans la religion païenne, et il fut défendu aux chrétiens. Ce changement, qui parut d’abord de si petite conséquence, eut insensiblement des suites terribles, et telles qu’on peut à peine les croire.

On ôta non-seulement toute la douceur du mariage, mais aussi l’on donna atteinte à sa fin : en voulant resserrer ses nœuds, on les relâcha ; et, au lieu d’unir les cœurs, comme on le prétendoit, on les sépara pour jamais.

Dans une action si libre, et où le cœur doit avoir tant de part, on mit la gêne, la nécessité, et la fatalité du destin même. On compta pour rien les dégoûts, les caprices et l’insociabilité des humeurs ; on voulut fixer le cœur, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus variable et de plus inconstant dans la nature : on attacha sans retour et sans espérance des gens accablés l’un de l’autre, et presque toujours mal assortis ; et l’on fit comme ces tyrans, qui faisoient lier des hommes vivants à des corps morts.

Rien ne contribuoit plus à l’attachement mutuel que la faculté du divorce : un mari et une