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LETTRE CXVI.

USBEK AU MÊME.


Les Romains n’avoient pas moins d’esclaves que nous ; ils en avoient même plus : mais ils en faisoient un meilleur usage.

Bien loin d’empêcher, par des voies forcées, la multiplication de ces esclaves, ils la favorisoient au contraire de tout leur pouvoir ; ils les associoient le plus qu’ils pouvoient par des espèces de mariages : par ce moyen, ils remplissoient leurs maisons de domestiques de tous les sexes, de tous les âges, et l’État d’un peuple innombrable.

Ces enfants, qui faisoient à la longue la richesse d’un maître, naissoient sans nombre autour de lui : il étoit seul chargé de leur nourriture et de leur éducation ; les pères, libres de ce fardeau, suivoient uniquement le penchant de la nature, et multiplioient, sans craindre une trop nombreuse famille.

Je t’ai dit que, parmi nous, tous les esclaves sont occupés à garder nos femmes, et à rien de plus ; qu’ils sont, à l’égard de l’État, dans une perpétuelle léthargie : de manière qu’il faut restreindre à quelques hommes libres, à quelques chefs de famille, la culture des arts et des terres, lesquels même s’y donnent le moins qu’ils peuvent.

Il n’en étoit pas de même chez les Romains : la République se servoit avec un avantage infini de ce peuple d’esclaves. Chacun d’eux avoit son