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faites du bien pour vos âmes ; et vous le trouverez un jour.

Je regarde un bon musulman comme un athlète, destiné à combattre sans relâche ; mais qui bientôt faible et accablé de ses premières fatigues, languit dans le champ même de la victoire ; et se trouve, pour ainsi dire, enseveli sous ses propres triomphes.

La nature agit toujours avec lenteur, et pour ainsi dire avec épargne : ses opérations ne sont jamais violentes ; jusque dans ses productions elle veut de la tempérance ; elle ne va jamais qu’avec règle et mesure ; si on la précipite, elle tombe bientôt dans la langueur : elle emploie toute la force qui lui reste à se conserver, perdant absolument sa vertu productrice et sa puissance générative.

C’est dans cet état de défaillance que nous met toujours ce grand nombre de femmes plus propre à nous épuiser qu’à nous satisfaire. Il est très ordinaire parmi nous de voir un homme dans un sérail prodigieux avec un très-petit nombre d’enfants : ces enfants mêmes sont la plupart du temps faibles et malsains, et se sentent de la langueur de leur père.

Ce n’est pas tout : ces femmes obligées à une continence forcée, ont besoin d’avoir des gens pour les garder, qui ne peuvent être que des eunuques : la religion, la jalousie et la raison même, ne permettent pas d’en laisser approcher d’autres ; Ces gardiens doivent être en grand nombre, soit afin de maintenir la tranquillité au-dedans parmi les guerres que ces femmes se font sans cesse, soit pour empêcher les entreprises du dehors. Ainsi un homme qui a dix femmes ou