Page:Montesquieu - Lettres persanes II, 1873.djvu/44

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faire du bien à une infinité de gens malheureux, qui leur procurent cent mille livres de rente.

On se plaint, en Perse, de ce que le royaume est gouverné par deux ou trois femmes : c’est bien pis en France, où les femmes en général gouvernent, et prennent non-seulement en gros, mais même se partagent en détail toute l’autorité.

De Paris, le dernier de la lune de Chalval 1717.

LETTRE CIX.

USBEK À ***.


Il y a une espèce de livres que nous ne connoissons point en Perse, et qui me paroissent ici fort à la mode : ce sont les journaux. La paresse se sent flattée en les lisant : on est ravi de pouvoir parcourir trente volumes en un quart d’heure.

Dans la plupart des livres, l’auteur n’a pas fait les compliments ordinaires que les lecteurs sont aux abois : il les fait entrer à demi morts dans une matière noyée au milieu d’une mer de paroles. Celui-ci veut s’immortaliser par un in-douze ; celui-là, par un in-quarto ; un autre, qui a de plus belles inclinations, vise à l’in-folio ; il faut donc qu’il étende son sujet à proportion ; ce qu’il fait sans pitié, comptant pour rien la peine du pauvre lecteur, qui se tue à réduire ce que l’auteur a pris tant de peine à amplifier.

Je ne sais, ***, quel mérite il y a à faire de pareils