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s’imagine que c’est quelque Américaine qui y est représentée, ou que le peintre a voulu exprimer quelqu’une de ses fantaisies.

Quelquefois les coiffures montent insensiblement ; et une révolution les fait descendre tout à coup. Il a été un temps que leur hauteur immense mettoit le visage d’une femme au milieu d’elle-même : dans un autre, c’étoient les pieds qui occupoient cette place ; les talons faisoient un piédestal qui les tenoit en l’air. Qui pourroit le croire ? Les architectes ont été souvent obligés de hausser, de baisser et d’élargir leurs portes, selon que les parures des femmes exigeoient d’eux ce changement, et les règles de leur art ont été asservies à ces caprices. On voit quelquefois sur un visage une quantité prodigieuse de mouches, et elles disparoissent toutes le lendemain. Autrefois les femmes avoient de la taille et des dents ; aujourd’hui, il n’en est pas question. Dans cette changeante nation, quoi qu’en dise le critique, les filles se trouvent autrement faites que leurs mères.

Il en est des manières et de la façon de vivre comme des modes : les François changent de mœurs selon l’âge de leur roi. Le monarque pourroit même parvenir à rendre la nation grave, s’il l’avoit entrepris. Le prince imprime le caractère de son esprit à la cour, la cour à la ville, la ville, aux provinces. L’âme du souverain est un moule qui donne la forme à toutes les autres.

De Paris, le 8 de la lune de Saphar 1717.