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La première est que tout corps tend à décrire une ligne droite, à moins qu’il ne rencontre quelque obstacle qui l’en détourne ; et la seconde, qui n’en est qu’une suite, c’est que tout corps qui tourne autour d’un centre tend à s’en éloigner, parce que, plus il en est loin, plus la ligne qu’il décrit approche de la ligne droite.

Voilà, sublime dervis, la clef de la nature ; voilà des principes féconds, dont on tire des conséquences à perte de vue, comme je te le ferai voir dans une lettre particulière.

La connoissance de cinq ou six vérités a rendu leur philosophie pleine de miracles, et leur a fait faire presque autant de prodiges et de merveilles que tout ce qu’on nous raconte de nos saints prophètes.

Car enfin je suis persuadé qu’il n’y a aucun de nos docteurs qui n’eût été embarrassé, si on lui eût dit de peser dans une balance tout l’air qui est autour de la terre, ou de mesurer toute l’eau qui tombe chaque année sur sa surface ; et qui n’eût pensé plus de quatre fois, avant de dire combien de lieues le son fait dans une heure ; quel temps un rayon de lumière emploie à venir du soleil à nous ; combien de toises il y a d’ici à Satume ; quelle est la courbe selon laquelle un vaisseau doit être taillé pour être le meilleur voilier qu’il soit possible.

Peut-être que, si quelque homme divin avait orné les ouvrages de ces philosophes de paroles hautes et sublimes ; s’il y avoit mêlé des figures hardies et des allégories mystérieuses, il auroit fait un bel ouvrage, qui n’auroit cédé qu’au saint Alcoran.

Cependant, s’il faut te dire ce que je pense, je ne m’accommode guères du style figuré. Il y a