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font presque la moitié de notre office, et nous ouvrent les yeux quand nous les fermons. Que dis-je ? Elles irritent sans cesse le maître contre leurs rivales ; et elles ne voient pas combien elles se trouvent près de celles qu’on punit.

Mais tout cela, magnifique seigneur, tout cela n’est rien sans la présence du maître. Que pouvons nous faire avec ce vain fantôme d’une autorité qui ne se communique jamais tout entière ? Nous ne représentons que faiblement la moitié de toi-même : nous ne pouvons que leur montrer une odieuse sévérité. Toi, tu tempères la crainte par les espérances : plus absolu quand tu caresses, que tu ne l’es quand tu menaces.

Reviens donc, magnifique seigneur, reviens dans ces lieux porter partout les marques de ton empire. Viens adoucir des passions désespérées ; viens ôter tout prétexte de faillir ; viens apaiser l’amour qui murmure, et rendre le devoir même aimable ; viens enfin soulager tes fidèles eunuques d’un fardeau qui s’appesantit chaque jour.

Du sérail d’Ispahan, le 8 de la lune de Zilhagé 1716.

LETTRE XCVIII.

USBEK À HASSEIN, DERVIS DE LA MONTAGNE DE JARON.


Ô toi, sage dervis, dont l’esprit curieux brille de tant de connoissances, écoute ce que je vais te dire.