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En voici le début et les variantes, ainsi qu’une note qui ne figure plus au Supplément :
Rica à ***
« Le peuple est un animal qui voit et qui entend ; mais qui ne pense jamais. Il est dans une léthargie ou dans une fougue surprenante ; et il va et vient sans cesse d’un de ces états à l’autre, sans savoir jamais d’où il est parti.
« J’ai oui parler en France d’un certain gouverneur de Normandie, qui, voulant se rendre plus considérable à la cour, excitoit lui-même de temps en temps quelques séditions, qu’il apaisoit aussitôt
« Il avoua depuis que la plus forte sédition ne lui coûta tout compte fait, qu’un demi toman. IL faisoit assembler quelques canailles dans un cabaret qui donnoit le ton à toute la ville, et ensuite à toute la province.
« Ceci me fait ressouvenir d’une lettre qu’écrivit dans les derniers troubles de Paris un des généraux de cette ville à un de ses amis.
« Je fis sortir, il y a trois jours, les troupes de la ville ; mais elles furent repoussées avec perte. Je compte pourtant que je réparerai facilement cet échec ; j’ai six couplets…
« Si cela ne suffit pas, il a été résolu au conseil de faire paroître une estampe, qui fera voir Mazarin pendu ; et pour peu que la conjoncture des affaires le demande, nous aurons la ressource d’ordonner au graveur de le rouer…
« Jugez après cela si le peuple a tort de s’animer, et de faire du nom de Mazarin un mot…
« Notre musique l’a si furieusement vexé sur le péché originel que, pour ne pas voir ses partisans réduits à la moitié, il a été obligé de renvoyer tous se pages. Je suis, etc…
De paris, le 9 de la lune de Zilcadé 1715.