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faits ; et il est, à son tour, regardé comme un visionnaire par celui qui a une bonne mémoire.

Quant à ceux qui font profession d’une orgueilleuse ignorance, ils voudroient que tout le genre humain fût enseveli dans l’oubli où ils seront eux-mêmes.

Un homme à qui il manque un talent se dédommage en le méprisant : il ôte cet obstacle qu’il rencontroit entre le mérite et lui ; et, par là, se trouve au niveau de celui dont il redoute les travaux.

Enfin, il faut joindre à une réputation équivoque la privation des plaisirs et la perte de la santé.

De Paris, le 26 de la lune de Chahban 1720.

LETTRE CXLVI.

USBEK À RHÉDI.
À Venise.


Il y a longtemps que l’on a dit que la bonne foi étoit l’âme d’un grand ministre.

Un particulier peut jouir de l’obscurité où il se trouve ; il ne se décrédite que devant quelques gens ; il se tient couvert devant les autres : mais un ministre qui manque à la probité a autant de témoins, autant de juges, qu’il y a de gens qu’il gouverne.

Oserai-je le dire ? Le plus grand mal que fait un