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les démons, ne nous quittent point encore ; ces monstres du cœur, ces illusions de l’esprit, ces vains fantômes de l’erreur et du mensonge, se montrent toujours à nous pour nous séduire et nous attaquent jusque dans les jeûnes et les cilices, c’est-à-dire jusque dans notre force même.

Pour moi, santon vénérable, je sais que l’envoyé de Dieu a enchaîné Satan, et l’a précipité dans les abîmes : il a purifié la terre, autrefois pleine de son empire, et l’a rendue digne du séjour des anges et des prophètes.

À Paris, le 9 de la lune de Chahban, 1715.

LETTRE XCV.

USBEK À RHÉDI.
À Venise.


Je n’ai jamais ouï parler du droit public, qu’on n’ait commencé par rechercher soigneusement quelle est l’origine des sociétés ; ce qui me paroît ridicule. Si les hommes n’en formoient point, s’ils se quittoient et se fuyoient les uns les autres, il faudroit en demander la raison, et chercher pourquoi ils se tiennent séparés : mais ils naissent tous liés les uns aux autres ; un fils est né auprès de son père, et il s’y tient : voilà la société, et la cause de la société.

Le droit public est plus connu en Europe qu’en Asie : cependant on peut dire que les passions des princes, la patience des peuples, la flatterie des écrivains, en ont corrompu tous les principes.