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France avoit eu plus à cœur la grandeur persane que lui, elle l’a fait paroître avec dignité devant un peuple dont il est le mépris.

Ne dis point ceci à Ispahan : épargne la tête d’un malheureux. Je ne veux pas que nos ministres le punissent de leur propre imprudence, et de l’indigne choix qu’ils ont fait.

De Paris, le dernier de la lune de Gemmadi 2, 1715.

LETTRE XCIII.

USBEK À RHÉDI.
À Venise.


Le monarque qui a si longtemps régné n’est plus[1]. Il a bien fait parler des gens pendant sa vie ; tout le monde s’est tû à sa mort. Ferme et courageux dans ce dernier moment, il a paru ne céder qu’au destin. Ainsi mourut le grand Chah-Abas, après avoir rempli toute la terre de son nom.

Ne crois pas que ce grand événement n’ait fait faire ici que des réflexions morales. Chacun a pensé à ses affaires, et à prendre ses avantages dans ce changement. Le roi, arrière-petit-fils du monarque défunt, n’ayant que cinq ans, un prince, son oncle, a été déclaré régent du royaume.

Le feu roi avoit fait un testament qui bornoit l’autorité du régent. Ce prince habile a été au Parlement ; et, y exposant tous les droits de sa naissance, il a fait casser la disposition du monarque,

  1. Il mourut le 1er septembre 1715