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ses vertus, parce qu’il y est porté par envie, par jalousie et par désespoir ; qui, brûlant de se venger des deux sexes dont il est le rebut, consent à être tyrannisé par le plus fort, pourvu qu’il puisse désoler le plus faible ; qui, tirant de son imperfection, de sa laideur et de sa difformité, tout l’éclat de sa condition, n’est estimé que parce qu’il est indigne de l’être ; qui, enfin, rivé pour jamais à la porte où il est attaché, plus dur que les gonds et les verrous qui la tiennent, se vante de cinquante ans de vie dans ce poste indigne, où, chargé de la jalousie de son maître, il a exercé toute sa bassesse ?

À Paris, le 14 de la lune de Zilhagé, 1713.

LETTRE xxxv.

Usbek à Gemchid, son cousin.
dervis du brillant monastère de Tauris.


Que penses-tu des chrétiens, sublime dervis ? Crois-tu qu’au jour du Jugement ils seront comme les infidèles Turcs, qui serviront d’ânes aux Juifs et les mèneront au grand trot en enfer ? Je sais bien qu’ils n’iront point dans le séjour des prophètes, et que le grand Hali n’est point venu pour eux. Mais, parce qu’ils n’ont pas été assez heureux pour trouver des mosquées dans leur pays, crois-tu qu’ils soient condamnés à des châtiments éternels, et que Dieu les punisse pour n’avoir pas