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occupe, sont autant de taches faites à leur vertu et d’outrages à leur époux.

Ce n’est pas, Roxane, que je pense qu’elles poussent l’attentat aussi loin qu’une pareille conduite devroit le faire croire, et qu’elles portent la débauche à cet excès horrible, qui fait frémir, de violer absolument la foi conjugale. Il y a bien peu de femmes assez abandonnées pour porter le crime si loin : elles portent toutes dans leur cœur un certain caractère de vertu qui y est gravé, que la naissance donne et que l’éducation affoiblit, mais ne détruit pas. Elles peuvent bien se relâcher des devoirs extérieurs que la pudeur exige ; mais, quand il s’agit de faire les derniers pas, la nature se révolte. Aussi, quand nous vous enfermons si étroitement, que nous vous faisons garder par tant d’esclaves, que nous gênons si fort vos désirs lorsqu’ils volent trop loin, ce n’est pas que nous craignions la dernière infidélité, mais c’est que nous savons que la pureté ne sauroit être trop grande, et que la moindre tache peut la corrompre.

Je vous plains, Roxane. Votre chasteté, si longtemps éprouvée, méritoit un époux qui ne vous eût jamais quittée, et qui pût lui-même réprimer les désirs que votre seule vertu sait soumettre.

De Paris, le 7 de la lune de Rhégeb, 1712.