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partout le même, d’une concision forte qui n’exclut ni l’afféterie, ni la sécheresse. Et dans son premier ouvrage se retrouvent en germe aussi bien la curiosité galante du Temple de Gnide, que la gravité quelque peu impérieuse de l’Esprit des lois et de la Grandeur et décadence des Romains, avec un charme de plus, l’expansive mobilité de la jeunesse et le mélange contrasté des sujets et des tons.

Une occasion se présenta, Montesquieu la saisit.

« L’ambassadeur turc arrivait (mars 1721), avec tout son monde équivoque. La question débattue partout était : « A-t-il, n’a-t-il pas un sérail ? Et qu’est-ce donc que la vie du sérail ? Vous le voulez… Eh ! bien, apprenez-le. Le nouveau livre vous le dira. Dès le commencement, cinq ou six lettres vous saisissent par cette curiosité d’être confident du mystère, au fond du sérail même, et ce qui est piquant, d’un sérail veuf, et des humbles aveux que ces belles délaissées écrivent en grand secret. Avec un tel prologue, on ne lâchera pas le livre. Mais nulle mollesse orientale. Il ne s’en doute même pas. À cent lieues du sérail mystique des soufis, du sérail voluptueux du Ramayan, celui-ci est français, je veux dire amusant et sec. La flamme même, s’il y en a quelque peu, est sèche encore, esprit, dispute et jalousie. Ces disputes ne troublent guère les sens. Le tout est une vraie satire contre l’injustice polygamique, le dur veuvage où elle tient la femme ; même la polygamie chrétienne (quoiqu’on en plaisante parfois comme d’une chose qui est dans les mœurs), il la flétrit très-âprement dans la lettre sur l’homme à bonnes fortunes (XLVIII). C’est un coup de théâtre de voir comme, après ces cinq ou six premières lettres de femmes, maître de son lecteur, il l’emporte sur un pic d’où l’on voit toute la terre, » la marche inéluctable des sociétés humaines vers le droit, vers la libre pensée, vers la république. « Le régent rit et tout le monde. Et qui sait ? les évêques, tous les pères de l’Église, Dubois, Tencin, etc., et la France entière rit, et l’Europe. C’est là bien autre chose qu’un succès littéraire. »

La vogue tout d’abord fut grande. Il parut en 1721 trois éditions au moins des Lettres persanes, deux chez Brunel, Amsterdam, une à Cologne chez Pierre Marteau (voir la bibliographie à la fin du tome II), toutes fidèles au texte publié chez Brunel par les soins du secrétaire de Montesquieu.

L’auteur vint à Paris (1722) jouir de son triomphe. Reçu dans tous les cercles lettrés, chez le Régent, chez Maurepas, chez Mme de Tencin, il connut là Duclos, Chevrier, Voisenon, La Chaussée, Crébillon fils, Moncrif, Salé, Pont de Veyle, tous aspirants à l’Académie. Le Temple de Gnide, que Mme du Deffand a si bien nommé l’Apocalypse de la galanterie, allégorie