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vous menez ? Comment auriez-vous pu briser ces verrous et ces portes qui vous tiennent enfermée ? Vous vous vantez d’une vertu qui n’est pas libre : et peut-être que vos désirs impurs vous ont ôté mille fois le mérite et le prix de cette fidélité que vous vantez tant.

Je veux que vous n’ayez point fait tout ce que j’ai lieu de soupçonner ; que ce perfide n’ait point porté sur vous ses mains sacriléges ; que vous ayez refusé de prodiguer à sa vue les délices de son maître ; que, couverte de vos habits, vous ayez laissé cette foible barrière entre lui et vous ; que, frappé lui-même d’un saint respect, il ait baissé les yeux ; que, manquant à sa hardiesse, il ait tremblé sur les châtiments qu’il se prépare : quand tout cela seroit vrai, il ne l’est pas moins que vous avez fait une chose qui est contre votre devoir. Et, si vous l’avez violé gratuitement sans remplir vos inclinations déréglées, qu’eussiez-vous fait pour les satisfaire ? Que feriez-vous encore si vous pouviez sortir de ce lieu sacré, qui est pour vous une dure prison, comme il est pour vos compagnes un asile favorable contre les atteintes du vice, un temple sacré où votre sexe perd sa foiblesse, et se trouve invincible, malgré tous les désavantages de la nature ? Que feriez-vous si, laissée à vous-même, vous n’aviez pour vous défendre que votre amour pour moi, qui est si grièvement offensé, et votre devoir, que vous avez si indignement trahi ? Que les mœurs du pays où vous vivez sont saintes, qui vous arrachent aux attentats des plus vils esclaves ! Vous devez me rendre grâce de la gêne où je vous fais vivre, puisque ce n’est que par là que vous méritez encore de vivre.