Page:Montesquieu - Lettres persanes I, 1873.djvu/64

Cette page a été validée par deux contributeurs.


LETTRE XX.

USBEK À ZACHI, SA FEMME.
Au sérail d’Ispahan.


Vous m’avez offensé, Zachi ; et je sens dans mon cœur des mouvements que vous devriez craindre, si mon éloignement ne vous laissoit le temps de changer de conduite, et d’apaiser la violente jalousie dont je suis tourmenté.

J’apprends qu’on vous a trouvée seule avec Nadir, eunuque blanc, qui payera de sa tête son infidélité et sa perfidie. Comment vous êtes-vous oubliée jusqu’à ne pas sentir qu’il ne vous est pas permis de recevoir dans votre chambre un eunuque blanc, tandis que vous en avez de noirs destinés à vous servir ? Vous avez beau me dire que des eunuques ne sont pas des hommes, et que votre vertu vous met au-dessus des pensées que pourrait faire naître en vous une ressemblance imparfaite ; cela ne suffit ni pour vous ni pour moi : pour vous, parce que vous faites une chose que les lois du sérail vous défendent ; pour moi, en ce que vous m’ôtez l’honneur, en vous exposant à des regards ; que dis-je, à des regards ? peut-être aux entreprises d’un perfide qui vous aura souillée par ses crimes, et plus encore par ses regrets et le désespoir de son impuissance.

Vous me direz peut-être que vous m’avez été toujours fidèle. Eh ! pouviez-vous ne l’être pas ? Comment auriez-vous trompé la vigilance des eunuques noirs, qui sont si surpris de la vie que