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jours, ils restent dans leur ancienne ignorance, et ils ne s’avisent de prendre leurs nouvelles inventions qu’après qu’elles s’en sont servies mille fois contre eux.

Ils n’ont nulle expérience sur la mer, nulle d’habileté dans la manœuvre. On dit qu’une poignée de chrétiens sortis d’un rocher[1] font suer tous les Ottomans, et fatiguent leur empire.

Incapables de faire le commerce, ils souffrent presque avec peine que les Européens, toujours laborieux et entreprenants, viennent le faire : ils croient faire grâce à ces étrangers de permettre qu’ils les enrichissent.

Dans toute cette vaste étendue de pays que j’ai traversée, je n’ai trouvé que Smyrne qu’on puisse regarder comme une ville riche et puissante. Ce sont les Européens qui la rendent telle, et il ne tient pas aux Turcs qu’elle ne ressemble à toutes les autres.

Voilà, cher Rustan, une juste idée de cet empire, qui, avant deux siècles, sera le théâtre des triomphes de quelque conquérant.

À Smyrne, le 2 de la lune de Rhamazan, 1711.
  1. Ce sont apparemment les chevaliers de Malte.