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vaine philosophie est cet éclair qui annonce l’orage et l’obscurité : vous êtes au milieu de la tempête, et vous errez au gré des vents.

Il est bien facile de répondre à votre difficulté : il ne faut pour cela que vous raconter ce qui arriva un jour à notre saint prophète, lorsque, tenté par les chrétiens, éprouvé par les juifs, il confondit également et les uns et les autres.

Le juif Abdias Ibesalon lui demanda pourquoi Dieu avait défendu de manger de la chair de pourceau. Ce n’est pas sans raison, répondit le prophète : c’est un animal immonde ; et je vais vous en convaincre. Il fit sur sa main, avec de la boue, la figure d’un homme ; il la jeta à terre, et lui cria : Levez-vous ! Sur-le-champ un homme se leva, et dit : Je suis Japhet, fils de Noé. Avois-tu les cheveux aussi blancs quand tu es mort ? lui dit le saint prophète. Non, répondit-il : mais, quand tu m’as réveillé, j’ai cru que le jour du jugement étoit venu : et j’ai eu une si grande frayeur, que mes cheveux ont blanchi tout à coup.

Or çà, raconte-moi, lui dit l’envoyé de Dieu, toute l’histoire de l’arche de Noé. Japhet obéit, et détailla exactement tout ce qui s’étoit passé les premiers mois ; après quoi il parla ainsi :

Nous mîmes les ordures de tous les animaux dans un côté de l’arche ; ce qui la fit si fort pencher, que nous en eûmes une peur mortelle, surtout nos femmes, qui se lamentoient de la belle manière. Notre père Noé ayant été au conseil de Dieu, il lui commanda de prendre l’éléphant, de lui faire tourner la tête vers le côté qui penchait. Ce grand animal fit tant d’ordures, qu’il en naquit un cochon. Croyez-vous, Usbek, que depuis ce temps-là nous nous en soyons abstenus,