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un peuple injuste, et que nous vous traiterons comme des bêtes farouches. »

Ces paroles furent renvoyées avec mépris ; ces peuples sauvages entrèrent armés dans la terre des Troglodytes, qu’ils ne croyoient défendus que par leur innocence.

Mais ils étoient bien disposés à la défense. Ils avoient mis leurs femmes et leurs enfants au milieu d’eux. Ils furent étonnés de l’injustice de leurs ennemis, et non pas de leur nombre. Une ardeur nouvelle s’étoit emparée de leur cœur : l’un vouloit mourir pour son père, un autre pour sa femme et ses enfants, celui-ci pour ses frères, celui-là pour ses amis, tous pour le peuple troglodyte ; la place de celui qui expiroit étoit d’abord prise par un autre, qui, outre la cause commune, avoit encore une mort particulière à venger.

Tel fut le combat de l’injustice et de la vertu. Ces peuples lâches, qui ne cherchoient que le butin, n’eurent pas honte de fuir ; et ils cédèrent à la vertu des Troglodytes, même sans en être touchés.

D’Erzeron, le 9 de la lune de Gemmadi 2, 1711.


LETTRE XIV.

USBEK AU MÊME.


Comme le peuple grossissoit tous les jours, les Troglodytes crurent qu’il étoit à propos de se choisir un roi : ils convinrent qu’il falloit déférer la couronne à celui qui étoit le plus juste ; et ils