La nature ne fournissoit pas moins à leurs désirs qu’à leurs besoins. Dans ce pays heureux, la cupidité étoit étrangère : ils se faisoient des présents, où celui qui donnoit croyoit toujours avoir l’avantage. Le peuple troglodyte se regardoit comme une seule famille ; les troupeaux étoient presque toujours confondus ; la seule peine qu’on s’épargnoit ordinairement, c’étoit de les partager.
LETTRE XIII.
Je ne saurois assez te parler de la vertu des Troglodytes. Un d’eux disoit un jour : Mon père doit demain labourer son champ ; je me lèverai deux heures avant lui, et quand il ira à son champ, il le trouvera tout labouré.
Un autre disoit en lui-même : Il me semble que ma sœur a du goût pour un jeune Troglodyte de nos parents ; il faut que je parle à mon père, et que je le détermine à faire ce mariage.
On vint dire à un autre que des voleurs avoient enlevé son troupeau : J’en suis bien fâché, dit-il ; car il y avoit une génisse toute blanche que je voulois offrir aux dieux.
On entendait dire à un autre : Il faut que j’aille au temple remercier les dieux ; car mon frère, que mon père aime tant et que je chéris si fort, a recouvré la santé.