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amitié faisoit naître ; et, dans l’endroit du pays le plus écarté, séparés de leurs compatriotes indignes de leur présence, ils menoient une vie heureuse et tranquille : la terre sembloit produire d’elle-même, cultivée par ces vertueuses mains.

Ils aimoient leurs femmes, et ils en étoient tendrement chéris. Toute leur attention étoit d’élever leurs enfants à la vertu. Ils leur représentoient sans cesse les malheurs de leurs compatriotes, et leur mettoient devant les yeux cet exemple si touchant ; ils leur faisoient surtout sentir que l’intérêt des particuliers se trouve toujours dans l’intérêt commun ; que vouloir s’en séparer, c’est vouloir se perdre ; que la vertu n’est point une chose qui doive nous coûter ; qu’il ne faut point la regarder comme un exercice pénible ; et que la justice pour autrui est une charité pour nous.

Ils eurent bientôt la consolation des pères vertueux, qui est d’avoir des enfants qui leur ressemblent. Le jeune peuple qui s’éleva sous leurs yeux s’accrut par d’heureux mariages : le nombre augmenta, l’union fut toujours la même ; et la vertu, bien loin de s’affoiblir dans la multitude, fut fortifiée, au contraire, par un plus grand nombre d’exemples.

Qui pourroit représenter ici le bonheur de ces Troglodytes ? Un peuple si juste devoit être chéri des dieux. Dès qu’il ouvrit les yeux pour les connoître, il apprit à les craindre ; et la religion vint adoucir dans les mœurs ce que la nature y avoit laissé de trop rude.

Ils instituèrent des fêtes en l’honneur des dieux. Les jeunes filles, ornées de fleurs, et les jeunes garçons, les célébroient par leurs danses, et par les accords d’une musique champêtre ; on faisoit