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LETTRE lxxxviii.

Rica à ***.


On dit que l’homme est un animal sociable. Sur ce pied-là, il me paroît qu’un François est plus homme qu’un autre, c’est l’homme par excellence ; car il semble être fait uniquement pour la société.

Mais j’ai remarqué parmi eux des gens qui non-seulement sont sociables, mais sont eux-mêmes la société universelle. Ils se multiplient dans tous les coins, et peuplent en un instant les quatre quartiers d’une ville : cent hommes de cette espèce abondent plus que deux mille citoyens ; ils pourroient réparer aux yeux des étrangers les ravages de la peste ou de la famine. On demande dans les écoles si un corps peut être en un instant en plusieurs lieux ; ils sont une preuve de ce que les philosophes mettent en question.

Ils sont toujours empressés, parce qu’ils ont l’affaire importante de demander à tous ceux qu’ils voient où ils vont et d’où ils viennent.

On ne leur ôteroit jamais de la tête qu’il est de la bienséance de visiter chaque jour le public en détail, sans compter les visites qu’ils font en gros dans les lieux où l’on s’assemble ; mais, comme la voie en est trop abrégée, elles sont comptées pour rien dans les règles de leur cérémonial.

Ils fatiguent plus les portes des maisons à coups de marteau, que les vents et les tempêtes. Si l’on alloit examiner la liste de tous les portiers, on y trouveroit chaque jour leur nom estropié de mille