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Je remarque, au contraire une source d’injustice et de vexations au milieu de ces mêmes États.

Je trouve même le prince, qui est la loi même, moins maître que partout ailleurs.

Je vois que, dans ces moments rigoureux, il y a toujours des mouvements tumultueux, où personne n’est le chef ; et que, quand une fois l’autorité violente est méprisée, il n’en reste plus assez à personne pour la faire revenir ;

Que le désespoir même de l’impunité confirme le désordre et le rend plus grand ;

Que, dans ces États, il ne se forme point de petite révolte, et qu’il n’y a jamais d’intervalle entre le murmure et la sédition ;

Qu’il ne faut point que les grands événements y soient préparés par de grandes causes ; au contraire, le moindre accident produit une grande révolution, souvent aussi imprévue de ceux qui la font que de ceux qui la souffrent.

Lorsqu’Osman, empereur des Turcs, fut déposé, aucun de ceux qui commirent cet attentat ne songeoit à le commettre ; ils demandoient seulement en suppliant qu’on leur fit justice sur quelque grief : une voix, qu’on n’a jamais connue, sortit de la foule par hasard ; le nom de Mustapha fut prononcé, et soudain Mustapha fut empereur.

De Paris, le 2 de la lune de Rébiab 1, 1715.