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l’autorité de messieurs Tavernier et Chardin. Ah ! bon Dieu ! dis-je en moi-même, quel homme est-ce là ? Il connoîtra tout à l’heure les rues d’Ispahan mieux que moi ! Mon parti fut bientôt pris : je me tus, je le laissai parler, et il décide encore.

À Paris, le 8 de la lune de Zilcadé, 1715.

LETTRE lxxiii.

Rica à ***.


Jai ouï parler d’une espèce de tribunal qu’on appelle l’académie françoise : il n’y en a point de moins respecté dans le monde ; car on dit qu’aussitôt qu’il a décidé, le peuple casse ses arrêts, et lui impose des lois qu’il est obligé de suivre.

Il y a quelque temps que, pour fixer son autorité, il donna un code de ses jugements. Cet enfant de tant de pères étoit presque vieux quand il naquit ; et, quoiqu’il fût légitime, un bâtard, qui avoit déjà paru, l’avoit presque étouffé dans sa naissance.

Ceux qui le composent n’ont d’autres fonctions que de jaser sans cesse : l’éloge va se placer comme de lui-même dans leur babil éternel ; et sitôt qu’ils sont initiés dans ses mystères, la fureur du panégyrique vient les saisir et ne les quitte plus.

Ce corps a quarante têtes, toutes remplies de figures, de métaphores et d’antithèses ; tant de