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sur la nature de Dieu ont dit qu’il étoit un être souverainement parfait ; mais ils ont extrêmement abusé de cette idée : ils ont fait une énumération de toutes les perfections différentes que l’homme est capable d’avoir et d’imaginer, et en ont chargé l’idée de la divinité, sans songer que souvent ces attributs s’entr’empêchent, et qu’ils ne peuvent subsister dans un même sujet sans se détruire.

Les poëtes d’Occident disent qu’un peintre, ayant voulu faire le portrait de la déesse de la beauté, assembla les plus belles Grecques et prit de chacune ce qu’elle avoit de plus agréable, dont il fit un tout pour ressembler à la plus belle de toutes les déesses. Si un homme en avoit conclu qu’elle étoit blonde et brune, qu’elle avoit les yeux noirs et bleus, qu’elle étoit douce et fière, il auroit passé pour ridicule.

Souvent Dieu manque d’une perfection qui pourroit lui donner une grande imperfection ; mais il n’est jamais limité que par lui-même ; il est lui-même sa nécessité : ainsi, quoique Dieu soit tout-puissant, il ne peut pas violer ses promesses, ni tromper les hommes. Souvent même l’impuissance n’est pas dans lui, mais dans les choses relatives ; et c’est la raison pourquoi il ne peut pas changer les essences.

Ainsi il n’y a pas sujet de s’étonner que quelques-uns de nos docteurs aient osé nier la prescience infinie de Dieu, sur ce fondement qu’elle est incompatible avec sa justice.

Quelque hardie que soit cette idée, la métaphysique s’y prête merveilleusement. Selon ses principes, il n’est pas possible que Dieu prévoie les choses qui dépendent de la détermination des