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fondée !… Encore une fois, à quoi mènent ces connoissances ? » (Maudite galère !)

Le digne père n’en revient pas. Il lâche des phrases dignes de Molière : « Voilà ce qu’on ne peut entendre sans se boucher les oreilles ! » Et ce ne sont que des  : Chétif mortel ! Fantaisies d’un petit écrivain ! Discours plein d’impiété ! L’impiété saute aux yeux ! Plaisant réformateur ! Âme de boue ! Les hommes transformés en étalons ! Dérangement de l’esprit et corruption du cœur ! Avec les pourceaux, on se tait !

L’abbé, cessez de gémir. Les Lettres persanes sont bien et dûment convaincues d’impiété.

Partout Montesquieu est fidèle à son principe.

En morale sociale, il se prononce pour la liberté et l’égalité, seules compatibles avec la justice, seules favorables à l’accomplissement du but que se propose toute société, l’avantage mutuel, à la propagation de l’espèce, au développement des richesses par le travail et les arts (CXXII). La liberté et l’égalité, il les réclame dans la société : et il combat l’esclavage, conservé par des princes chrétiens dans les pays où il leur profite ; dans la famille, (sauf en ce qui concerne l’autorité paternelle dont il s’exagère l’importance) : et il réclame que notre empire sur les femmes est une véritable tyrannie !… que, « les forces seraient égales, si l’éducation l’était aussi » (XXXVIII) ; et il condamne la polygamie au nom de la dignité des femmes (CXIV), comme le célibat au nom de la loi naturelle (CXVII).

En législation, il réclame des pénalités sagement graduées, et des châtiments modérés, aussi redoutés et moins dangereux que les supplices insensés et les tortures arbitraires (LXXX).

En politique intérieure, ennemi déclaré du despotisme, qui anéantit le ressort moral, les forces vives des sociétés, et provoque des révolutions toujours légitimes (LXXX, LXXXIX, CII, CIII), il juge avec une sévère clairvoyance ce Louis XIV qui a fait illusion à Voltaire lui-même (XXIV, XXXVII, XCII). Pour lui, le gouvernement « le plus parfait est celui qui va à son but à moins de frais ; celui qui conduit les hommes de la manière qui convient le mieux à leur penchant et à leur inclination » (LXXV). De là à la république il n’y a qu’un pas, et Montesquieu le fait. Son histoire des Troglodytes (XI-XIV) conclut énergiquement à la république. Les républiques de Suisse et de Hollande sont placées haut dans son estime (CXXII). C’est de lui qu’est cette noble pensée : « Le sanctuaire de l’honneur, de la réputation et de la vertu semble être établi dans les républiques et dans les pays où l’on peut prononcer le mot de patrie. » Il est moins net et moins affirmatif dans l’Esprit des lois.