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une femme qu’il aime. Sa vie est toute marquée d’actions généreuses, et, quoiqu’il cherche la vie obscure, il y a plus d’héroïsme dans son cœur que dans celui des plus grands monarques.

Je lui ai parlé mille fois de toi ; je lui montre toutes tes lettres ; je remarque que cela lui fait plaisir ; et je vois déjà que tu as un ami qui t’est inconnu.

Tu trouveras ici ses principales aventures : quelque répugnance qu’il eût à les écrire, il n’a pu les refuser à mon amitié, et je les confie à la tienne.


HISTOIRE
D’APHÉRIDON ET D’ASTARTÉ.

Je suis né parmi les guèbres, d’une religion qui est peut-être la plus ancienne qui soit au monde. Je fus si malheureux que l’amour me vint avant la raison : j’avois à peine six ans, que je ne pouvois vivre qu’avec ma sœur ; mes yeux s’attachoient toujours sur elle, et, lorsqu’elle me quittoit un moment, elle les retrouvoit baignés de larmes ; chaque jour n’augmentoit pas plus mon âge que mon amour. Mon père, étonné d’une si forte sympathie, auroit bien souhaité de nous marier ensemble, selon l’ancien usage des guèbres, introduit par Cambyse ; mais la crainte des mahométans, sous le joug desquels nous vivons, empêche ceux de notre nation de penser à ces alliances saintes, que notre religion ordonne