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qui inondent le corps glorieux de l’immortelle Anaïs (CXXV).

Il définit le pape « une vieille idole qu’on encense par habitude, un grand magicien, » qui fait croire « que trois ne sont qu’un, que le pain qu’on mange n’est pas du pain, » les évêques, des gens de loi qui dispensent, à prix d’argent, d’obéir à la loi ; les prêtres et les dervis, des eunuques volontaires enrichis par leur vœu de pauvreté. Il s’indigne contre l’hypocrite férocité de l’inquisition (XXIX, LXXVIII) ; il maudit l’intolérance, le prosélytisme, « esprit de vertige, éclipse entière de la raison humaine » (LXXXV).

Enfin, il bat, les uns sur le dos des autres, christianisme, mahométisme, judaïsme, et les humilie devant la pureté et la spiritualité (quelque peu supposées) du mazdéisme (LXVII). C’est que Montesquieu tient à extraire de toutes les religions positives un fond commun, naturel sorte d’innocente théophilanthropie à laquelle se cramponnent, aujourd’hui encore, certain nombre d’esprits à demi émancipés, et dont les pompes sentimentales et champêtres s’étalent dans l’épisode des Troglodytes (XII). Cette religion naturelle a ses dangers pour les âmes tendres et, pratiquée par Rousseau ou Robespierre, nous ramène tout droit aux orthodoxies dont nous sortons à peine, après tant de siècles d’abaissement intellectuel. Mais, dans l’esprit d’un Montesquieu, elle n’a rien de contraignant, car elle n’existe pas, n’étant qu’un mot pour caractériser et sanctifier le respect des lois, l’exercice de la justice, l’amour des hommes et la pratique de la vertu.

Les dévots ne s’y trompaient pas. L’homme qui a écrit : « Dans l’état présent où est l’Europe, il n’est pas possible que la religion catholique y subsiste cinq cents ans » (CXVII) ; l’homme qui voit dans « l’idée de la divinité… une énumération de toutes les perfections différentes que l’homme est capable d’avoir et d’imaginer » (LXIX) ; cet homme est un impie, et l’abbé Gaultier a raison quand il s’écrie : « Si le Persan avance quelque impiété, on dit : C’est un Persan ! mais ce Persan qui parle est un François très-connu, qui met dans la bouche du Persan ce qu’il pense, lui François, en matière de religion. » Et il ajoute : « Est-il rien de plus humiliant pour nous, qu’un livre qui contient ces blasphèmes ait été lu, recherché, applaudi dans le royaume, et que les éditions se soient multipliées, sans que la puissance spirituelle ni la temporelle se soient armées pour venger la majesté de Dieu de l’outrage d’un chétif mortel ?… Est-ce à dire que Descartes, Newton, et les philosophes modernes » (sauf Malebranche) « ont raisonné mieux que Moïse ?… Les philosophes athées ou déistes font le monde éternel… Un déiste compte pour rien tous les miracles sur lesquels la religion chrétienne est