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Ils nous regardent, au contraire, comme des hérétiques qui ont changé la loi, ou plutôt, comme des Juifs rebelles.

Si le changement s’étoit fait insensiblement, ils croient qu’ils auroient été facilement séduits : mais, comme il s’est fait tout à coup et d’une manière violente, comme ils peuvent marquer le jour et l’heure de l’une et de l’autre naissance, ils se scandalisent de trouver en nous des âges, et se tiennent fermes à une religion que le monde même n’a pas précédée.

Ils n’ont jamais eu dans l’Europe un calme pareil à celui dont ils jouissent. On commence à se défaire parmi les chrétiens de cet esprit d’intolérance qui les animoit : on s’est mal trouvé en Espagne, de les avoir chassés, et en France, d’avoir fatigué des chrétiens dont la croyance différoit un peu de celle du prince. On s’est aperçu que le zèle pour les progrès de la religion est différent de l’attachement qu’on doit avoir pour elle ; et que, pour l’aimer et l’observer, il n’est pas nécessaire de haïr et de persécuter ceux qui ne l’observent pas.

Il seroit à souhaiter que nos musulmans pensassent aussi sensément sur cet article que les chrétiens ; que l’on pût, une bonne fois, faire la paix entre Ali et Abubeker, et laisser à Dieu le soin de décider des mérites de ces saints prophètes : je voudrois qu’on les honorât par des actes de vénération et de respect, et non pas par de vaines préférences ; et qu’on cherchât à mériter leur faveur, quelque place que Dieu leur ait marquée, soit à sa droite, ou bien sous le marchepied de son trône.

À Paris, le 18 de la lune de Saphar, 1714.