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qui n’est qu’un point de l’univers, se proposer directement pour modèles de la Providence, je ne sais comment accorder tant d’extravagance avec tant de petitesse.

De Paris, le 14 de la lune de Saphar, 1714.

LETTRE lx.

Usbek à Ibben.
À Smyrne.


Tu me demandes s’il y a des Juifs en France ? Sache que, partout où il y a de l’argent, il y a des Juifs. Tu me demandes ce qu’ils y font ? Précisément ce qu’ils font en Perse : rien ne ressemble plus à un Juif d’Asie qu’un Juif européen.

Ils font paroître chez les Chrétiens, comme parmi nous, une obstination invincible pour leur religion, qui va jusques à la folie.

La religion juive est un vieux tronc qui a produit deux branches qui ont couvert toute la terre, je veux dire le mahométisme et le christianisme ; ou plutôt c’est une mère qui a engendré deux filles qui l’ont accablée de mille plaies : car, en fait de religion, les plus proches sont les plus grandes ennemies. Mais, quelque mauvais traitements qu’elle en ait reçus, elle ne laisse pas de se glorifier de les avoir mises au monde ; elle se sert de l’une et de l’autre pour embrasser le monde entier, tandis que, d’un autre côté, sa vieillesse vénérable embrasse tous les temps.

Les Juifs se regardent donc comme la source de toute sainteté et l’origine de toute religion.