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les prisons où elles sont détenues, la vigilance des eunuques, leur paroissent des moyens plus propres à exercer l’industrie du sexe qu’à la lasser. Ici les maris prennent leur parti de bonne grâce, et regardent les infidélités comme des coups d’une étoile inévitable. Un mari qui voudroit seul posséder sa femme seroit regardé comme un perturbateur de la joie publique, et comme un insensé qui voudroit jouir de la lumière du soleil à l’exclusion des autres hommes.

Ici un mari qui aime sa femme est un homme qui n’a pas assez de mérite pour se faire aimer d’une autre ; qui abuse de la nécessité de la loi pour suppléer aux agréments qui lui manquent ; qui se sert de tous ses avantages au préjudice d’une société entière ; qui s’approprie ce qui ne lui avoit été donné qu’en engagement, et qui agit autant qu’il est en lui pour renverser une convention tacite qui fait le bonheur de l’un et de l’autre sexe. Ce titre de mari d’une jolie femme, qui se cache en Asie avec tant de soin, se porte ici sans inquiétude : on se sent en état de faire diversion partout. Un prince se console de la perte d’une place par la prise d’une autre : dans le temps que le Turc nous prenoit Bagdad, n’enlevions-nous pas au Mogol la forteresse de Candahar ?

Un homme qui, en général, souffre les infidélités de sa femme n’est point désapprouvé ; au contraire, on le loue de sa prudence : il n’y a que les cas particuliers qui déshonorent.

Ce n’est pas qu’il n’y ait des dames vertueuses, et on peut dire qu’elles sont distinguées ; mon conducteur me les faisoit toujours remarquer : Mais elles étoient toutes si laides, qu’il faut être un saint pour ne pas haïr la vertu.