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LETTRE lv.

Rica à Ibben.
À Smyrne.


Chez les peuples d’Europe, le premier quart d’heure du mariage aplanit toutes les difficultés ; les dernières faveurs sont toujours de même date que la bénédiction nuptiale : les femmes n’y font point comme nos Persanes, qui disputent le terrain quelquefois des mois entiers ; il n’y a rien de si plénier : si elles ne perdent rien, c’est qu’elles n’ont rien à perdre ; mais on sait toujours, chose honteuse ! le moment de leur défaite ; et, sans consulter les astres, on peut prédire au juste l’heure de la naissance de leurs enfants.

Les François ne parlent presque jamais de leurs femmes : c’est qu’ils ont peur d’en parler devant des gens qui les connoissent mieux qu’eux.

Il y a parmi eux des hommes très-malheureux que personne ne console : ce sont les maris jaloux ; il y en a que tout le monde hait : ce sont les maris jaloux ; il y en a que tous les hommes méprisent : ce sont encore les maris jaloux.

Aussi n’y a-t-il point de pays où ils soient en si petit nombre que chez les François. Leur tranquillité n’est pas fondée sur la confiance qu’ils ont en leurs femmes ; c’est, au contraire, sur la mauvaise opinion qu’ils en ont : toutes les sages précautions des Asiatiques, les voiles qui les couvrent,