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à feu ma sœur que sa fille et moi naquîmes la même année. Je le disois bien, Madame, et je n’avois pas tort d’être étonné.

Mon cher Usbek, les femmes qui se sentent finir d’avance par la perte de leurs agréments voudroient reculer vers la jeunesse. Eh ! comment ne chercheroient-elles pas à tromper les autres ? Elles font tous leurs efforts pour se tromper elles-mêmes, et se dérober à la plus affligeante de toutes les idées.

À Paris, le 3 de la lune de Chalval, 1713.

LETTRE liii.

Zélis à Usbek.
À Paris.


Jamais passion n’a été plus forte et plus vive que celle de Cosrou, eunuque blanc, pour mon esclave Zélide ; il la demande en mariage avec tant de fureur, que je ne puis la lui refuser. Et pourquoi ferois-je de la résistance, lorsque ma mère n’en fait pas, et que Zélide elle-même paroît satisfaite de l’idée de ce mariage imposteur et de l’ombre vaine qu’on lui présente ?

Que veut-elle faire de cet infortuné, qui n’aura d’un mari que la jalousie ; qui ne sortira de sa froideur que pour entrer dans un désespoir inutile ; qui se rappellera toujours la mémoire de ce qu’il a été, pour la faire souvenir de ce qu’il n’est