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LETTRE xlix.

Rica à Usbek.
À ***.


Étant l’autre jour dans ma chambre, je vis entrer un dervis extraordinairement habillé : sa barbe descendoit jusques à sa ceinture de corde ; il avoit les pieds nus ; son habit étoit gris, grossier et, en quelques endroits, pointu. Le tout me parut si bizarre que ma première idée fut d’envoyer chercher un peintre pour en faire une fantaisie.

Il me fit d’abord un grand compliment, dans lequel il m’apprit qu’il étoit homme de mérite, et de plus capucin. On m’a dit, ajouta-t-il, Monsieur, que vous retournez bientôt à la cour de Perse, où vous tenez un rang distingué : je viens vous demander votre protection, et vous prier de nous obtenir du roi une petite habitation, auprès de Casbin, pour deux ou trois religieux. Mon père, lui dis-je, vous voulez donc aller en Perse ? Moi, Monsieur ! me dit-il ; je m’en donnerai bien de garde. Je suis ici provincial, et je ne troquerois pas ma condition contre celle de tous les capucins du monde. Et que diable me demandez-vous donc ? C’est, me répondit-il, que, si nous avions cet hospice, nos pères d’Italie y enverroient deux ou trois de leurs religieux. Vous les connoissez apparemment, lui dis-je, ces religieux ? Non, Monsieur, je ne les connois pas. Eh morbleu ! que vous importe donc qu’ils aillent en Perse ? C’est